“Flo, tu sais, je ne mourai pas vieille…” : Annick Balley, un ancien ami des classes se rappelle d’une de ses confidences dans un émouvant hommage
Touché par le décès prématuré du journaliste Annick Balley, le célèbre écrivain Florent-Couao Zotti qui a fréquenté avec elle se rappelle d’une de ses confidences dans un hommage très émouvant que voici :
Annick, ma belle amie, ainsi soit il !
Pendant trois ans, on avait fait les mêmes classes à Gbegamey, Seconde, Première, Terminale. Sélectionnés avec d’autres pour faire partie des meilleurs, elle et moi avions occupé les mêmes bancs comme des voisins opiniâtres, élèves presque siamois qui rigolions de tout et même de nos mauvaises notes. Le grand scénariste de cette œuvre, Antoine Detchenou, charismatique directeur qui maniait la langue de Voltaire avec autant d’efficacité que ses chicottes, nous a appris à faire nôtre, la citation de Saint Exupery “aimer ce n’est pas se regarder l’un, l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction”.
Nous nous sommes aimés, Annick Balley et moi. Non pas comme des amants, mais comme frère et sœur, habités par la même soif de réussite. J’allais souvent chez elle, à la Patte d’oie, passer la journée pour faire semblant de faire des exercices pour lesquels on n’avait aucun intérêt, mais qui me donnaient le prétexte d’être tout simplement en sa compagnie. Sa mère, Maman Élisabeth, Chef de District, nous gavait de jus de fruit et de Coca et son jeune frère, toujours espiègle, profitait pour prendre le large.
Annick était à l’époque une fille atypique. Elle n’aimait pas la compagnie des filles qu’elle trouvait superficielles, préférant discuter avec les garçons. Elle avait, en effet, ce côté viril avec sa coiffure à la garçonne égayée d’une raie fine. Rieuse et aussi sérieuse, elle parlait mina avec moi et menait en Français des discussions presque philosophiques dont certaines me laissaient songeur.
Un jour, à la suite d’un drame qu’elle a vécu et dont elle ne m’a jamais donné les détails, elle m’a confié : “Flo, tu sais, je ne mourai pas vieille, j’ai le sentiment que ma vie ne sera pas suffisamment longue pour que j’accomplisse tous mes rêves, je ferai tout là-bas”.
Seraient-ce des propos d’une jeune fille désireuse d’épater son camarade ? Ou était-ce une prémonition ? Entre 1984 où elle a tenu cette réflexion et aujourd’hui 2024, il s’est écoulé quand même quarante ans. Serait-ce, ça, ce que tu mijotais, ma chérie ? Je n’y crois pas. À moins que cela soit une farce, une de celle que tu faisais en classe quand tu montais sur la table et jouais le rôle de Michelle Badarou, cette icône dont tu rêvais de devenir une réplique.
Nikè, ma chérie, on avait pris date, toi et moi. Moi, dans ma retraite en train d’écrire mon cinquantième livre et toi, être la conseillère d’une grande institution de médias, mémé de nombreux enfants qui gigotent autour de toi. Mon amie, ma sœur, j’ai du mal à y croire.
Florent-Couao Zotti