Cotonou, début mars, l’air est chargé d’encens et de prières. Les appels à la prière résonnent dans les quartiers musulmans, tandis que les cloches des églises marquent le chemin de croix des chrétiens. Cette année, une coïncidence rare donne à la ville une atmosphère particulière : les carêmes musulman et chrétien ont commencé presque simultanément. Pour les fidèles, c’est un temps de privation et de recueillement. Pour d’autres, c’est le début d’une tempête économique. Bars, restaurants, travailleuses du sexe et petits commerçants s’interrogent : comment survivre à ce mois de double jeûne ?
Dans le quartier animé de Fidjrossè, Serge, propriétaire d’un maquis, observe ses chaises vides d’un regard inquiet. D’habitude, l’heure du déjeuner attire une clientèle fidèle, mais depuis quelques jours, l’ambiance est morose.
« C’est comme un dimanche tous les jours. On voit bien que les gens sortent moins, » lâche-t-il en tapotant nerveusement son comptoir.
Odile, qui tient un restaurant à Akpakpa, ajuste le masque sur son visage et confie :
« Les musulmans, c’est silence radio toute la journée. Les chrétiens, c’est plus souple, mais même eux se font rares. On espérait compenser avec les uns ou les autres, mais là…»
Les premiers jours passent lentement, mais les tenanciers savent que le pire est à venir. Certains ont réduit les commandes de boissons et de viande pour éviter les pertes, d’autres hésitent à fermer temporairement, faute de rentabilité.
Prostituées et travailleurs du sexe : l’attente anxieuse
À Jonquet, quartier connu pour sa vie nocturne, l’éclairage tamisé des ruelles semble plus faible que d’ordinaire. Rita, 28 ans, silhouette moulée dans une robe rouge, fume nerveusement.
« En journée, c’est mort. Même le soir, les musulmans restent chez eux après la rupture du jeûne. Les chrétiens, c’est plus discret mais y a pas foule non plus, » confie-t-elle, le regard perdu.
Une autre, qui préfère garder l’anonymat, lance avec une pointe d’amertume :
« On dirait que le diable lui-même est parti en retraite. Même les clients habituels se font pardonner en ce moment.»
Les travailleuses du sexe, déjà confrontées à une instabilité chronique, redoutent que ce mois de privation n’aggrave encore leur situation.
Petits commerçants et boîtes de nuit : le coup de froid
Clarisse, vendeuse de beignets à Saint-Michel, garde l’œil sur son stock encore plein.
« À midi, on vend presque rien. Les musulmans ne mangent pas, et beaucoup de chrétiens font attention. On va finir par tout jeter », soupire-t-elle, résignée.
Dans une boîte de nuit à Cadjéhoun, Gildas, DJ, ajuste ses platines face à une piste déserte.
« C’est simple, les musulmans désertent. Les chrétiens viennent, mais c’est pas la folie non plus. On dirait une veille de fête ratée, » ironise-t-il.
Certains établissements songent déjà à fermer plus tôt ou à annuler des soirées pour éviter des dépenses inutiles.
Entre foi et réalité : les fidèles s’expliquent
Malgré l’impact économique évident, les fidèles interrogés ne semblent pas prêts à transiger avec leur foi. Hamid, musulman pratiquant, explique :
« Le Ramadan, c’est sacré. On ne sort pas pour se distraire, c’est un mois pour purifier l’âme. Les sacrifices font partie du chemin.»
Emmanuel, catholique, nuance :
« Le Carême, c’est plus souple. On jeûne mais on n’est pas cloîtré. Certains évitent l’alcool et les sorties, d’autres se contentent de réduire.»
Les pratiques diffèrent, mais l’esprit est le même : se rapprocher de Dieu par la privation.
L’Équation impossible : la foi contre le commerce
Entre prières et pertes financières, la situation semble inextricable pour de nombreux commerçants. Le double jeûne, avec ses privations quasi simultanées, pourrait laisser des séquelles économiques bien au-delà du mois de carême. Pour Serge, le tenancier de maquis, l’heure est aux calculs serrés.
« Si ça continue comme ça, on va prier nous aussi. Pas pour le salut de l’âme, mais pour le salut du commerce. » lâche-t-il, mi-figue, mi-raisin.
Cotonou en suspens
À Cotonou, l’heure est à l’attente. Entre la foi des uns et l’inquiétude des autres, les rues semblent plus calmes, les nuits moins bruyantes. Si les fidèles voient dans cette période l’occasion de se rapprocher de Dieu, les commerçants, eux, redoutent le verdict des semaines à venir. Ce mois de double jeûne, avec ses restrictions spirituelles et économiques, pourrait bien redessiner, même temporairement, le visage de la capitale béninoise.
Abbas TITILOLA
[Rejoignez notre chaîne WhatsApp https://whatsapp.com/channel/0029VaDoNrNBKfi6YZ0eKy0w pour plus d’informations]
www.benin-news.com, l’information autrement.