Ce que vous ne saviez peut-être pas : de sergent à président, Samuel Doe finit humilié et exécuté en public devant les caméras

Samuel Kanyon Doe incarne à lui seul une trajectoire aussi fulgurante que tragique dans l’histoire contemporaine de l’Afrique de l’Ouest. Issu d’un milieu modeste, il s’impose comme le premier président autochtone du Liberia, avant de finir assassiné dans des conditions atroces. Voici un récit complet de sa vie, de sa prise de pouvoir par la force, de ses dérives, jusqu’à sa mort filmée en 1990. Un destin qui continue de hanter la mémoire collective libérienne.

Né le 6 mai 1951 à Tuzon, dans le comté de Grand Gedeh, Samuel Kanyon Doe appartient à l’ethnie Krahn, alors marginalisée dans la hiérarchie sociale dominée par les descendants d’esclaves afro-américains, les Américano-Libériens. À 18 ans, il s’enrôle dans l’armée et gravit rapidement les échelons. En octobre 1979, il est promu sergent-chef après une formation, notamment auprès des forces spéciales américaines.
Le coup d’État du 12 avril 1980
À seulement 28 ans, Doe entre dans l’histoire. Le 12 avril 1980, avec un groupe de 17 soldats, il prend d’assaut le palais présidentiel de Monrovia. Le président William Tolbert est assassiné dans son lit. Ce putsch marque la fin de 133 années de domination des Américano-Libériens.
Doe lors d’un discours en tant que leader du coup de 1980
Dans les jours suivants, 13 hauts responsables du gouvernement Tolbert sont exécutés publiquement sur une plage. Les images de ces exécutions, orchestrées comme une démonstration de force, choquent le monde. Doe installe le People’s Redemption Council (PRC), suspend la Constitution, et concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Il devient général et président de facto.
Dix ans de règne sous tension
Au début, Doe promet la justice sociale, la lutte contre la corruption et l’égalité entre les ethnies. Mais rapidement, son régime devient autoritaire, basé sur la répression et le népotisme ethnique, en faveur des Krahn. Le pays plonge dans un climat de terreur politique et de violations des droits humains.
En 1985, sous pression internationale, il organise des élections présidentielles. Officiellement, il remporte 51% des voix, mais les observateurs dénoncent un scrutin truqué. Un coup d’État manqué, mené la même année par le général Thomas Quiwonkpa, un ancien allié devenu rival, tourne au bain de sang. Quiwonkpa est capturé, exécuté et mutilé. Son cadavre est cannibalisé par les soldats de Doe. Les représailles s’abattent ensuite sur les ethnies Gio et Mano, suspectées de sympathies avec les rebelles.
Le régime Doe devient synonyme de corruption généralisée, de massacres de civils (notamment dans des lieux de culte comme l’église luthérienne de Monrovia), et d’un autoritarisme brutal. Malgré cela, il bénéficie un temps du soutien des États-Unis, en raison de sa posture anticommuniste pendant la guerre froide.
Samuel Doe et Charles Taylor
La guerre civile libérienne : le début de la fin
Le 24 décembre 1989, une rébellion menée par Charles Taylor et son Front Patriotique National du Liberia (NPFL) franchit la frontière depuis la Côte d’Ivoire. La guerre civile commence. Les forces de Doe, mal préparées et divisées, perdent progressivement le contrôle du territoire.
En 1990, Monrovia est assiégée. Une intervention ouest-africaine, la force de paix ECOMOG, tente de limiter les violences, mais la situation échappe à tout contrôle. Doe, de plus en plus isolé, commet l’erreur fatale de se rendre dans le quartier général de l’ECOMOG, pensant y trouver protection.
Le 9 septembre 1990 : arrestation, torture et exécution
Ce jour-là, le prince Johnson, un ancien commandant du NPFL devenu dissident, intercepte le convoi de Doe à l’entrée du quartier général. Doe est capturé vivant, blessé, et transporté dans une base rebelle.
Le lendemain, 10 septembre 1990, sa torture est filmée en intégralité. La vidéo montre un Samuel Doe en sous-vêtements, sanglant, implorant pitié, pendant que Prince Johnson, assis en face, boit une bière. Les soldats lui coupent les oreilles, lui tranchent des membres, et l’humilient devant la caméra.
Fin tragique de Samuel Doe
Selon plusieurs sources, ses organes génitaux auraient également été coupés. La scène dure plus d’une heure. Son assassinat devient l’un des épisodes les plus barbares jamais filmés dans l’histoire politique africaine. Son corps est ensuite profané et enterré sans honneur, dans un lieu inconnu.
L’onde de choc et l’héritage
La mort de Doe marque un tournant dans la guerre civile, qui se poursuivra jusqu’en 1997, causant plus de 200 000 morts. Charles Taylor deviendra président, avant d’être lui-même renversé et jugé pour crimes contre l’humanité.
Samuel Doe laisse derrière lui un héritage controversé :
Il a permis l’accession au pouvoir d’un autochtone dans un pays longtemps dominé par une élite fermée.
Il a mis en place des infrastructures (routes, archives nationales, complexe sportif Samuel Kanyon Doe).
Mais son règne a surtout été marqué par la brutalité, la division ethnique, la corruption et les massacres.
En 2025, 35 ans après sa mort, une cérémonie funéraire d’État est organisée à Zwedru, sa ville natale, dans le cadre d’un processus de réconciliation nationale. Sa mémoire reste cependant divisée au Liberia : héros pour certains, dictateur sanguinaire pour d’autres.