
La CEDEAO change de visage. Ce dimanche 22 juin 2025, lors du sommet des chefs d’État à Abuja, au Nigeria, Julius Maada Bio, président de la Sierra Leone, a été élu à la présidence tournante de l’organisation ouest-africaine. Il succède à Bola Ahmed Tinubu, président du Nigeria, dont le mandat s’est achevé dans un climat tendu et une sous-région en proie aux crises multiples.

« Notre région est à la croisée des chemins », a déclaré Julius Maada Bio dès son élection. Dans son discours d’investiture, le nouveau président de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a annoncé un cap clair : restaurer l’ordre constitutionnel dans les pays en transition, renforcer la sécurité régionale et raviver le projet d’intégration économique. Un programme ambitieux, à la hauteur des défis qui plombent la région.
Des États membres confrontés à des instabilités politiques persistantes, des menaces terroristes croissantes, un trafic d’armes incontrôlé et une criminalité transnationale en expansion : le constat est dur. Et Julius Maada Bio, qui hérite d’une institution marquée par la défection de plusieurs membres fondateurs, entend incarner un tournant.
Tinubu passe la main, le goût amer d’un mandat secoué
Bola Ahmed Tinubu, président sortant de la CEDEAO, a quitté ses fonctions avec discrétion. S’il a salué le passage de témoin à son « grand ami et cher frère », le dirigeant nigérian a reconnu les nombreux obstacles rencontrés : transitions politiques complexes, montée de l’extrémisme violent, tensions régionales accrues.
Officiellement, aucune mention n’a été faite, durant la brève plénière, du départ fracassant du Mali, du Burkina Faso et du Niger, désormais regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). Pourtant, ce retrait historique assombrit fortement le bilan de Tinubu. Un livret distribué a bien tenté de mettre en avant quelques succès de sa présidence, mais difficile d’occulter le fait que ce sont trois piliers fondateurs de la CEDEAO qui ont claqué la porte en 2024, année des 50 ans de l’institution.
Parmi les décisions majeures de ce sommet figure également la mise en place d’un médiateur chargé d’encadrer la procédure de retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Il sera accompagné par trois ministres issus de pays membres de la CEDEAO. L’objectif est clair : organiser une sortie effective de ces États d’ici fin juillet, dans un cadre formel.
Pendant ce temps, l’insécurité s’aggrave sur l’ensemble de la région. Les attaques jihadistes se multiplient, touchant autant les zones rurales que les centres urbains au Sahel, et même des localités au sud, jusque dans certaines zones du Nigeria.
Bilan de Tinubu à la tête de la CEDEAO
Élu à la présidence tournante de la CEDEAO en juillet 2023, Bola Ahmed Tinubu a pris les rênes d’une organisation déjà fragilisée par les crises politiques répétées au Sahel. Dès le début, il a adopté une posture ferme, appelant à la restauration immédiate de l’ordre constitutionnel au Niger après le putsch du 26 juillet 2023. Sous sa houlette, la CEDEAO a rapidement imposé des sanctions économiques, fermé les frontières et même menacé d’une intervention militaire.
🛡️ Sécurité : le projet ambitieux d’une force régionale
L’un des grands chantiers de Tinubu aura été le lancement d’une “force d’attente” régionale. Destinée à répondre aux menaces sécuritaires, notamment le terrorisme et les changements anticonstitutionnels, cette force devait réunir 5 000 hommes issus des États membres. Bien que partiellement opérationnelle avec 1 650 soldats prêts au déploiement, le manque de financements – estimé à plus de 2 milliards de dollars – a freiné sa mise en œuvre effective.
📉 Le départ des pays du Sahel : revers majeur
Malgré ses efforts diplomatiques, Bola Tinubu n’a pu empêcher le retrait officiel du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO. Réunis dans l’Alliance des États du Sahel (AES), ces trois pays dénoncent une organisation perçue comme hostile aux transitions militaires. Ce départ constitue l’un des plus grands échecs stratégiques du bloc ouest-africain depuis sa création en 1975.
📊 Économie et développement : des progrès notables
Sur le plan économique, Tinubu a défendu une meilleure intégration régionale :
Promotion du commerce interrégional à travers le système SIGMAT (interconnexion douanière),
Soutien à des programmes de développement ciblés : 38 millions USD pour l’énergie solaire, 9 millions USD pour les déplacés internes,
Accords renforcés avec la ZLECAf et l’OMC dans des secteurs stratégiques (pêche, agriculture, éducation).
🤝 Diplomatie et gouvernance
Le président nigérian a tenté de jouer les médiateurs dans plusieurs crises politiques internes à la région, notamment en Guinée, en Sierra Leone et au Sénégal. Il a aussi soutenu la création d’un protocole régional anticorruption et le renforcement du rôle de la NACIWA, l’agence ouest-africaine de lutte contre la corruption.
📌 Bilan global : entre volontarisme et isolement
Forces & limites
Posture ferme pour la démocratie Fracture avec les États sahéliens
Lancement de la force d’attente Faible mobilisation financière
Soutien au développement économique Image clivante du leadership CEDEAO.
Le mandat de Bola Tinubu à la tête de la CEDEAO restera comme l’un des plus marquants de ces dernières années. S’il a affirmé l’autorité morale de l’organisation face aux coups d’État et promu des réformes d’envergure, son action a aussi révélé les failles structurelles d’une communauté fragilisée. Son successeur, Julius Maada Bio, hérite d’un bloc divisé, mais porteur d’espoirs si le dialogue et la cohésion peuvent être restaurés.
A.A.T