Prise en charge holistique des victimes de VBG au Bénin : quand le certificat médical devient un obstacle
Le certificat médical constitue une pièce maîtresse dans la prise en charge des victimes de violences basées sur le genre (VBG). Encadré par l’arrêté interministériel n°16/MASM/MS/MJL/MISP/DC/SGM/DGAS/SA du 8 juillet 2022, il est censé être accessible gratuitement. Son coût, fixé à dix mille francs CFA, est pris en charge par le Ministère de la Justice lorsque le médecin est réquisitionné. Dans le cas contraire, la victime doit en assumer la charge. Toutefois, sur le terrain, l’accès à ce document essentiel demeure difficile.
Selon l’arrêté, la gratuité est assurée dès lors que la victime est référée par un officier de police judiciaire ou un agent habilité, ou en cas de gravité de son état, avec transmission du certificat sous pli fermé au requérant. Le délai maximal de délivrance est fixé à dix jours ouvrés, sous peine de sanctions disciplinaires. « Il est impérativement souhaité que dans les deux heures de temps maximum suivant leur arrivée, qu’elles soient prises en charge pour la préservation des preuves, les soins et la délivrance du Certificat médical qui doit permettre d’enclencher le reste de la procédure », ajoute le ministre de la santé, Benjamin Hounkpatin.
Mais force est de constater que malgré ces avancées légales, la réalité est tout autre sur le terrain. Enongandé M. Hélèna Capo-Chichi, socio-anthropologue et présidente de l’ONG Famille-Nutrition-Développement (FND), explique que les victimes doivent souvent d’abord obtenir une réquisition auprès des points focaux VBG dans les commissariats, agents souvent débordés, ce qui entraîne des retards importants. De plus, nombre de victimes ignorent la gratuité ou la procédure exacte, ce qui les conduit parfois à payer de leur poche ou à renoncer à la procédure.
Les difficultés ne s’arrêtent pas là : « Le manque de personnel médical formé et habilité à délivrer les certificats dans plusieurs hôpitaux publics oblige les victimes à revenir à plusieurs reprises, prolongeant leur souffrance et ralentissant les procédures judiciaires », renchérit Enongandé M. Hélèna Capo-Chichi. Par ailleurs, les professionnels de santé peinent à percevoir leurs frais de prestation, du fait de remboursements judiciaires lents et opaques, ce qui compromet la pérennité de la gratuité effective.
Pour Rodrigue Mounana, chargé de projet à l’ONG Famille Nutrition et Développement (FND): « ce certificat constitue en quelque sorte la carte sésame, la carte maîtresse qui permet l’entrée en justice des victimes lorsqu’elles subissent toutes formes de violences. C’est lui qui permet d’entamer toutes les procédures judiciaires nécessaires. Il produit les preuves médico-légales indispensables à la justice pour prendre des décisions éclairées, avec d’autres éléments complémentaires. Sur l’aspect médico-légal, ce document est véritablement la clé d’entrée en justice dans les cas de violences basées sur le genre. »
Apportant un éclairage sur l’évolution de la gratuité du certificat, Hermine Bokossa, spécialiste en genre et gestionnaire de projet, explique : « avant l’arrêté interministériel du 8 juillet 2022, ce certificat était déjà censé être gratuit, conformément au Code pénal, lorsque la victime présentait une réquisition délivrée par le procureur ou le commissaire de police, adressée au médecin traitant. Mais en pratique, le remboursement aux médecins prenait beaucoup de temps. De ce fait, les victimes étaient parfois contraintes de payer elles-mêmes. »
À l’en croire, l’arrêté a permis de clarifier et de réaffirmer la gratuité, tout en précisant les situations où la victime peut s’adresser directement au médecin, notamment en cas de gravité. Le médecin délivre alors le certificat puis oriente vers un officier habilité qui émet la réquisition a posteriori. L’arrêté harmonise aussi le tarif standard en l’absence de réquisition, fixé à 10.000 FCFA.
« Toutefois, la victime doit encore accomplir plusieurs démarches administratives, commissariat, centre de santé, guichet unique, tribunal, ce qui engendre des frais connexes non couverts par le certificat : déplacements, examens complémentaires, hospitalisation, etc. Ces coûts restent des barrières majeures, surtout pour les victimes en situation de précarité économique », souligne-t-elle.
D’après ses explications, « il est crucial d’adopter des solutions flexibles adaptées aux contraintes spécifiques des victimes, afin de rendre leur parcours plus fluide. De plus, les procédures de remboursement aux agents de santé doivent être accélérées pour garantir leur pleine collaboration dans la délivrance effective des certificats médicaux. »
Du côté des autorités, la réflexion avance également sur les ajustements à faire.
Une réflexion en cours pour simplifier la procédure
Noah Agbaffa Padonou, Directeur départemental des affaires sociales et de la microfinance du Littoral, confirme que cette problématique est activement discutée. « On est en train de voir si la seule personne habilitée à délivrer la réquisition doit être l’officier de police, ou si d’autres acteurs, proches des victimes, pourraient être identifiés pour faciliter l’orientation vers le médecin », explique-t-il.
Il souligne la complexité actuelle : « Si personne ne dit au médecin que la personne est victime de VBG, n’importe qui pourrait réclamer ce certificat. Il faut donc d’abord s’assurer que le demandeur est bien une victime. »
Concernant les difficultés évoquées, notamment l’insuffisance de gynécologues ou les délais de remboursement, Noah Agbaffa Padonou estime que « ce sont des éléments qui pourraient être perçus comme des entraves, mais cela ne doit pas justifier un refus de prise en charge. Nous sommes face à l’urgence, à une victime, et cela doit primer sur tout. La responsabilité et le cœur doivent guider les professionnels, indépendamment des délais de remboursement ».
L’arrêté interministériel établit un cadre juridique clair pour la délivrance gratuite du certificat médical aux victimes de VBG, un progrès essentiel. Néanmoins, la mise en œuvre réelle reste freinée par des obstacles administratifs, institutionnels et logistiques. Pour que ce droit devienne effectif, il est impératif d’agir sur le terrain, en renforçant les capacités, en sensibilisant les populations, et en développant des structures intégrées de prise en charge comme les Centres intégrés de prise en charge des victimes de VBG (CIPEC-VBG). Ce n’est qu’ainsi que le droit des victimes sera pleinement respecté, traduisant enfin la promesse d’une justice accessible et d’un accompagnement digne.
Abbas TITILOLA en Collaboration avec Alliance Droits et santé