Entre crainte, guérison et fertilité
Au sein du vaste panthéon vodoun du Bénin, Sakpata, aussi connu sous les noms de Shakpana, Sagbata, ou encore Babalu Aye dans la diaspora afro-cubaine et afro-brésilienne, occupe une place à part. Divinité de la terre, de la fertilité, mais aussi des maladies éruptives comme la variole, il incarne à la fois la punition divine et la guérison spirituelle. C’est une force qui rappelle à l’ordre, punit les désordres humains, mais offre aussi protection et abondance à ceux qui lui restent fidèles.
Origines mythologiques et symbolisme
Dans la cosmogonie vodoun, Sakpata est le maître de la terre. Il gouverne tout ce qui s’y trouve : les récoltes, les épidémies, la fertilité des sols et même la longévité des êtres humains. Il est représenté souvent comme un vieillard malade, couvert de plaies (symboles de la variole), soutenu par une béquille, ou enveloppé dans des pagnes couverts de cauris. Cette image n’est pas une punition en soi, mais un rappel de son immense pouvoir : ceux qu’il frappe tombent, ceux qu’il protège prospèrent.
Selon les récits oraux, il fait partie des sept fils de Mawu, la divinité suprême dans la tradition fon, qui l’a envoyé sur terre avec la mission de gérer la terre et ses maladies. Lorsqu’il est respecté, il assure l’équilibre, protège les peuples, favorise les bonnes récoltes et éloigne les fléaux. Mais s’il est ignoré ou offensé, il peut semer la variole, la lèpre ou d’autres fléaux destructeurs.
Un culte structuré et répandu
Le culte de Sakpata est particulièrement vivant dans les régions du Plateau, Zou, Collines, Ouémé et Mono-Couffo. Il est célébré à travers des cérémonies codifiées, des chants rituels (souvent en langue fon ou mina), des danses, et des tenues caractéristiques couvertes de cauris et de fibres naturelles.
Les sakpatasi (adeptes de Sakpata) ne sont pas choisis au hasard. Certains naissent sous la protection de Sakpata – cela se reconnaît par des signes mystiques à la naissance – et doivent dès lors intégrer le culte. Le non-respect de cette appartenance peut entraîner des maladies mystérieuses ou une malchance persistante.
Les interdits (ou fô) du culte sont nombreux : les adeptes ne doivent pas manger d’arachide ni de porc, ils ne s’habillent pas en rouge, et doivent observer certaines restrictions alimentaires selon leur grade. Ils ne doivent pas être vus nus, et doivent respecter la terre comme une entité vivante.
Une divinité au-delà du Bénin
Avec la traite négrière, Sakpata a traversé l’Atlantique et s’est installé dans les Amériques, où il est toujours vénéré sous le nom de Babalu Aye à Cuba, en Haïti ou au Brésil (notamment à Bahia). Dans ces régions, il est souvent associé à Saint Lazare dans les syncrétismes religieux, notamment dans la santería et le candomblé. Là encore, il est le protecteur des malades, des pauvres et des marginalisés.
Guérison et bénédictions
Le culte de Sakpata est également une source de guérison. Les cérémonies de purification, de bénédictions de champs, de prière pour la fertilité ou la santé sont organisées par les prêtres et prêtresses du culte, appelés Hounnon Sakpata. Ces derniers servent d’intermédiaires entre le monde visible et invisible, interprètent les signes du Fâ, et prescrivent les rituels appropriés.
Les objets rituels sont nombreux : agbako (calebasses sacrées), agbada (masques de fibres), akasa (bracelets de protection), cauris, poudres, herbes médicinales, etc. Tous sont utilisés pour conjurer les maladies, apaiser la divinité ou attirer la prospérité.
Un patrimoine culturel et spirituel
Aujourd’hui encore, Sakpata reste une divinité très vivante dans la conscience collective béninoise. Il incarne l’équilibre entre l’homme et la terre, le rappel que la santé et la fertilité ne sont pas uniquement des réalités biologiques, mais aussi spirituelles. Il est la mémoire d’un peuple et le gardien invisible de sa survie.